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Réunion de famille

 

L’acte final se produit mi-juillet 2007 lors d’une réunion familiale dans un hôtel de Boston. L’atmosphère est tendue. Quatre heures durant, les partisans du «oui» et ceux du «non» se succèdent à la tribune. A New York, dans l’immense appartement qu’il s’est offert pour 44 millions de dollars, Murdoch suit cet étrange meeting, grâce à une «informatrice» parmi les membres de la famille. A l’heure du vote, c’est à une écrasante majorité que les Bancroft acceptent l’offre de News Corporation. Elle sera rendue ­officielle le 1er août 2007. Sans l’avoir vraiment voulu et sans s’y être vraiment opposée non plus, la famille met fin à plus d’un siècle de contrôle sur l’un des plus prestigieux journaux de la planète. Ses membres retourneront à l’anonymat d’où Murdoch les avait un temps tirés. Quant au magnat des médias, il s’empresse, sitôt l’acquisition finalisée, de placer des hommes à la tête du groupe.

 

Tristan Gaston-Breton

Historien d'entreprises (tgb@historyandbusiness.fr)

 

Illustrations : Pascal Garnier; Louise Lebert (pp. 5 et 12) / Crédit photo : AFP

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Pour le management du groupe, c’est une mauvaise surprise... et un camouflet.

La majorité de la famille Bancroft, propriétaire du journal, ne s’intéresse pas
à la vie du groupe.

Murdoch a acheté à tour
de bras journaux et chaînes de télévision, jusqu’à bâtir un empire mondial.

à coup de mails et d’appels téléphoniques, ils œuvrent pour convaincre le «clan» de vendre le groupe Dow Jones à News Corporation. Avec un argument massue : les 5 milliards de dollars offerts par Murdoch, une offre qui garantirait à chaque membre la bagatelle de 140 millions de dollars. Du côté des opposants, le propre père de William Cox III, qui ne se prive pas de dire tout le mal qu’il pense de Rupert Murdoch. Faute de chef, la famille se déchire, les plus jeunes, généralement partisans de l’offre, s’opposant à leurs aînés, hostiles à l’homme et à ce qu’il représente. Au milieu, les indécis comme Chris Bancroft et Michael Elefante, qui fait tout son possible pour convaincre la famille d’accepter le «deal» –il est vrai qu’il a beaucoup à y gagner– et, bien sûr, Rupert Murdoch.

 

Informé de la position des uns et des autres, l’homme d’affaires multiplie les appels téléphoniques et les rencontres avec les membres du clan. S’il donne des garanties quant à l’indépendance éditoriale du titre –préoccupation commune à tous les Bancroft– il met cependant d’emblée les choses au clair : «Je ne peux pas prendre 5 milliards à mes actionnaires et ne pas diriger l’affaire», explique-t-il dans une interview au «Wall Street Journal». L’indépendance, oui. La liberté totale, non…

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que l’on veut vendre !» «Peut-être n’est-il pas trop tard pour rédiger un nouveau communiqué familial», tente alors Chris Bancroft, manifestement décontenancé. Mais il est trop tard : le communiqué des Bancroft a déjà été transmis au «Wall Street Journal». Un fossé vient de s’ouvrir entre les Bancroft et le conseil d’administration, mais aussi entre eux et la rédaction, littéralement vent debout contre le «fouille-merde»… 

 

Convaincre le clan

 

La balle est désormais dans le camp des 30 membres de la famille Bancroft, plus divisée que jamais. D’un côté, les partisans de l’offre Murdoch, emmenés par Leslie Hill, administratrice et ancienne pilote de la compagnie American Airlines, et son cousin William Cox III. Des semaines durant,

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ma famille et mon groupe : certaines flatteuses, d’autres moins. Je suis cependant un véritable homme de presse et reste convaincu que News Corporation pourrait apporter les capitaux et les moyens dont le groupe Dow Jones a besoin pour se développer», écrit-il. Entre-temps aussi, les Bancroft se sont réunis pour arrêter leur position. Présenté au conseil par Michael Elefante, le communiqué rédigé par la famille précise que, «au vu de la situation du groupe et de l’environnement dans lequel il évolue, elle pense que les missions de Dow Jones pourraient être mieux réalisées en collaboration avec un autre groupe de presse, dont News Corporation.»

 

Pour le management du groupe, qui s’attendait à un refus pur et net des Bancroft, c’est une mauvaise surprise… et un camouflet. Ces lignes ne sonnent-elles pas comme un désaveu de la gestion de Zanino et de son équipe ? Ce jour-là, les trois actionnaires familiaux –Chris Bancroft, Lisa Steele et Leslie Hill– semblent un peu dépassés par les événements. Au point que, lorsque Chris Bancroft croit utile de préciser que le communiqué de la famille «ne signifie pas qu’elle souhaite vendre», il s’attire une réponse cinglante de la part du président : «Appeler à une collaboration avec un partenaire signifie, dans le langage de Wall Street,

par trois de ses membres, elle n’a pas de véritable chef reconnu et accepté par tous. Pour Rupert Murdoch, la «fenêtre de tir» semble donc idéale.

 

«Tout se vend»

 

«Je propose 60 dollars par titre», précise ce jour-là le patron de News Corporation à Robert Zanino, soit 27 dollars de plus que le cours officiel du groupe ! Une offre très généreuse, bien dans les manières de Murdoch, habitué depuis toujours à surpayer les titres qu’il souhaite acheter afin d’emporter le morceau et d’éviter toute surenchère de la part d’un concurrent. Sitôt revenu à son bureau, Zanino appelle l’administrateur des Bancroft, l’avocat Michael Elefante, qui, chaque année, touche 6 % de tous les revenus versés à la famille. «Tout se vend», répond aussitôt ce dernier avant de demander la tenue d’un conseil d’administration exceptionnel.

 

Il se réunit le 31 mai 2007. Entre-temps, Rupert Murdoch a adressé une lettre à l’ensemble de la famille Bancroft pour défendre son projet. «Beaucoup de choses ont été dites sur moi,

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Journal». Depuis cette date, le groupe semble en panne de stratégie. Rupert Murdoch sait aussi que le rédacteur en chef du quotidien doit prendre prochainement sa retraite, ce qui éviterait bien des remous et favoriserait la mise en place d’une équipe à sa main.

 

Enfin et surtout, le magnat australien n’ignore rien de la situation capitalistique du groupe Dow Jones. Il sait que la majorité du capital –64 %– est aux mains d’une trentaine de personnes qui, toutes, descendent de Hugh Bancroft, le gendre de Clarence Barron, qui avait pris la tête du journal à sa mort. Or la famille Bancroft, dans son immense majorité, ne s’intéresse pas à la vie du groupe, se contentant d’encaisser chaque année de confortables dividendes. Si elle est représentée au conseil

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donné les Anglais vingt ans plus tard. Il faut dire qu’outre-Manche, Murdoch s’est mis à dos tout l’establishment en osant reprendre le «Times» en 1981, provoquant même des démissions en masse au sein de la rédaction. L’homme est connu pour la brutalité de ses méthodes, n’hésitant pas à débarquer du jour au lendemain les rédacteurs en chef des journaux qu’il a rachetés, surveillant de très près la vie de ses titres, et n’hésitant pas, lors de ses visites express, à déchirer deux heures avant le bouclage une maquette complète qu’il ne trouve pas assez aguicheuse.

 

Si, en cette année 2007, Rupert Murdoch s’attaque au «Wall Street Journal», c’est donc en premier lieu pour ajouter un titre de plus à son empire de presse. Mais c’est également pour peau­finer une respectabilité que l’acquisition du «Times» et sa conversion aux opinions ­conservatrices –lui qui, jadis, se vantait de voter à gauche– ne lui ont qu’imparfaitement assurée.

 

Rupert Murdoch, qui a longuement étudié le dossier, sait que le moment est bien choisi. Sous la houlette de son ancien directeur général, Peter Kann, le groupe Dow Jones a acquis dans les années 1990 la société financière Telerate : un véritable désastre financier qui n’a pas manqué d’atteindre le «Wall Street

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de magazines, des maisons d’édition et des networks de première importante, à commencer par Fox News. La recette de ce succès : le recours systématique aux crédits bancaires, mais aussi et surtout un style très particulier qu’il a expérimenté dès 1953 avec l’ «Adelaïde News».

 

La philosophie de Rupert Murdoch tient en quelques mots : «Pour vendre plus de papier, il faut toucher les masses et, pour toucher les masses, il faut leur donner ce qu’elles veulent : du sensationnel», a-t-il coutume de dire. Son fonds de commerce, ce sont des histoires montées en épingle où le sexe figure toujours en bonne place, des titres accrocheurs, propres à faire frissonner les lecteurs. Déclinée à l’envi, notamment dans le plus célèbre des tabloïds anglais, le « Sun », fleuron de l’empire Murdoch, cette formule a entraîné à chaque fois une envolée des ventes des titres rachetés par le magnat.

 

«Comme une odeur de soufre…»

 

Mais elle a également valu à Murdoch une réputation des plus détestables. «Il est arrivé. Ne sentez-vous rien ? Comme une

odeur de soufre…», murmuraient déjà les milieux d’affaires australiens dans les années 1960, à l’annonce de l’une de ses visites à Sidney. Le «fouille-merde» : tel est le surnom que lui ont

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Cela fait un certain temps déjà que l’homme d’affaires pense à cette acquisition. Véritable référence dans le monde des affaires, le quotidien a obtenu le prix Pulitzer à trente-six reprises depuis 1946 et tire à plus d’un million d’exemplaires. Le journal a également lancé des éditions en Europe et en Asie, ainsi qu’un site Internet, créé dès 1996. Dirigée par Paul Steiger depuis 1991, sa rédaction est réputée pour la qualité de ses enquêtes. Plus qu’un simple journal, le «Wall Street Journal» est en fait une institution de la côte Est, au même titre que le «New York Times». Et c’est bien ce qui intéresse Rupert Murdoch.

 

«Il faut toucher les masses»

 

Depuis qu’il a hérité de son père, en 1953, le journal australien «Adelaïde News», celui-ci a multiplié les acquisitions, achetant à tour de bras journaux et chaînes de télévision, sur tous les continents, jusqu’à bâtir un gigantesque empire. Au milieu des années 2000, News Corporation réalise un chiffre d’affaires de 24 milliards de dollars et comprend 175 journaux –dont tous les titres australiens ou presque et les principaux tabloïds anglais, sans compter le très sérieux « Times » de Londres– des dizaines

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«Votre groupe m’intéresse…» Ce 29 mars 2007, deux hommes se retrouvent pour un petit-déjeuner dans un restaurant chic de Wall Street. D’un côté, Robert Zanino, directeur général du groupe Dow Jones depuis l’année précédente. De l’autre, Rupert Murdoch, le magnat australien des médias, l’homme qui règne sur News Corporation, l’un des plus grands groupes mondiaux du secteur. Ce matin-là, Murdoch n’y va pas par quatre chemins : à son interlocuteur, il annonce qu’il souhaite acheter le groupe Dow Jones, qui abrite, entre autres actifs, une véritable pépite :
​ le «Wall Street Journal».

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L’homme est connu pour la brutalité de ses méthodes et son style sulfureux. Si, en 2007, l’Australien Rupert Murdoch s’attaque au «Wall Street Journal», c’est d'abord pour ajouter un titre de plus à son empire de presse. Mais aussi pour s’acheter une forme de respectabilité. Il lui faudra pour cela convaincre la famille Bancroft de lui céder le contrôle du prestigieux quotidien.

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Rupert Murdoch
à l’assaut du
​«Wall Street Journal»

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