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Pour garder le contrôle
de l’Erie, Drew fait appel
à deux complices aussi
peu scrupuleux que lui.
Réputé pour son avarice, Vanderbilt est fui comme la peste par la bonne société
à cause de sa vulgarité.
Les complices se réfugient dans un hôtel transformé en forteresse et gardé
par des hommes armés.
Triste épilogue
Féroce, la guerre, finalement, s’arrête faute de combattants. Ayant perdu plusieurs millions de dollars dans l’affaire, Cornelius Vanderbilt n’a en effet plus qu’une envie : récupérer tout ou partie de son argent, quand bien même il lui faudrait pour cela renoncer à l’Erie. Daniel Drew est aussi mal en point : l’achat de procurations en blanc et l’émission de fausses actions lui a coûté très cher et il souhaite arrêter les frais. Fisk, lui, file depuis peu le parfait amour avec sa maîtresse Josie Mansfield, qui le trompe, elle-même, avec l’un de ses associés… Une liaison qui ne lui laisse plus beaucoup de temps pour les affaires. Quant à Jay Gould, il estime avoir atteint son but : appelé à la rescousse par Drew, il a fini par devenir l’un des principaux actionnaires des chemins de fer de l’Erie.
Au milieu de l’année 1868, les quatre hommes soldent enfin leurs comptes : Cornelius Vanderbilt revend à ses adversaires les actions qu’il a pu acheter en Bourse. La perte finale, pour lui, s’élève à 2 millions de dollars. Ebranlé par cet échec ressenti comme un affront personnel, il passe les dernières années à étendre son réseau, notamment vers Chicago, et meurt en 1877.
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Sénateur de l’Etat de New York, corrompu jusqu’à la moelle, c’est un habitué des fraudes de grande ampleur qui n’hésite pas à surfacturer – de 60 % ! – les travaux publics pour empocher la différence et à détourner à son profit des pans entiers du budget de la ville ! Contre un somptueux pot-de-vin, «Boss Tweed» obtient des autorités de New York la légalisation des fausses actions. Pour Vanderbilt, c’est le retour à la case départ…
de procuration en blanc afin de faire valider leur montage par le conseil d’administration. Plusieurs dizaines de milliers de fausses actions sont émises. Résultat : plus Vanderbilt achète d’actions pour se rapprocher du seuil des 51 % du capital, plus les nouvelles actions émises l’éloignent de cet objectif ! Début 1868, le Commodore a déjà dépensé 7 millions de dollars. Alors que, pour cette somme, il devrait déjà être propriétaire de l’Erie, il ne détient que 30 % à peine de son capital…
Conscient que la bataille boursière lui échappe, Vanderbilt porte alors l’affaire en justice. Dans un premier temps, les choses se présentent bien pour lui : un tribunal de New York condamne en effet le trio infernal. A la demande de l’homme d’affaires, un mandat d’arrêt est même lancé contre James Fisk, Daniel Drew et Jay Gould. Prudents, les trois hommes sont passés dans l’Etat voisin du New Jersey, se réfugiant dans un hôtel transformé en forteresse et gardé par une dizaine d’hommes armés. La méthode Gould…
Jay Gould, d’ailleurs, ne reste pas inactif. Ayant emporté une valise contenant un million de dollars en billets, il parvient à contacter l’un de ses obligés, William Mager Tweed.
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crapule qui ne recule devant rien –violence avec armes à feu, corruption aggravée, manœuvres en tout genre, spéculation débridée…– pour parvenir à ses fins. Secret, renfermé, ce manipulateur hors pair qui, adolescent, avait signé un devoir sur la nécessité d’être «honnête en toutes circonstances», a investi dans tout ce qui pouvait lui rapporter de l’argent : le négoce des peaux –il a poussé l’un de ses associés au suicide en récupérant frauduleusement ses parts–, la tannerie –pour se débarrasser d’un concurrent, il a monté une expédition avec une dizaine d’hommes armés qui a terminé en bataille rangée–, le transport fluvial et enfin les chemins de fer, qui ont achevé de faire de lui un homme fabuleusement riche.
Le trio infernal
C’est donc ce trio emmené par Daniel Drew qui va tenir tête à Cornelius Vanderbilt. L’affaire est brillamment menée. Tandis que le Commodore s’emploie à acheter en Bourse des actions de l’Erie, les trois compères élaborent une contre-attaque aussi redoutable qu’illégale : elle consiste à émettre de fausses actions à leur nom. Drew, Gould et Fisk achètent également des paquets
Daniel Drew entend bien, en effet, garder le contrôle de l’Erie et éjecter le Commodore, au besoin en le saignant à mort ! Pour y parvenir, il fait appel à deux complices aussi peu scrupuleux que lui. Le premier est James Fisk. Né en 1835, «Big Jim», «Diamond Jim» ou «Jubilee Jim», comme on l’appelle alternativement en raison de son obésité, de sa fabuleuse richesse et de son mode de vie flamboyant, a fait presque tous les métiers –concierge d’hôtel, employé de magasin, négociant en produits textiles, trafiquant d’armes…– avant de s’installer comme courtier. Il a travaillé à plusieurs reprises pour Drew, l’aidant à mettre en place des montages boursiers douteux.
Le deuxième larron est plus inquiétant encore : né en 1836, de petite taille et de santé fragile, Jay Gould est une véritable
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Ayant, comme Vanderbilt, vendu tous ses navires pour investir dans les chemins de fer, devenu, grâce à des manipulations boursières et à l’émission de fausses actions, le principal actionnaire de la Compagnie Erie, Drew, cet homme au physique de tueur qui ne rit jamais mais confit en dévotion, est bien décidé à faire la peau à son ancien concurrent.
Mettre la main sur l’Erie… Pour Vanderbilt, cet objectif devient une obsession. Cette acquisition viendrait couronner son empire et ferait de lui le principal entrepreneur de chemins de fer aux Etats-Unis. En 1867, il propose au conseil d’administration de fusionner la compagnie avec le New York Central qu’il vient d’acquérir. Le projet a du sens. Mais Drew, qui a compris la manœuvre, n’a aucun mal à le faire rejeter.
Saigner le Commodore
Vanderbilt change alors de méthode. Dans les mois qui suivent, il commence à ramasser en Bourse, au prix fort, toutes les actions de la compagnie. Son objectif : s’assurer de 51 % du capital pour devenir seul maître à bord. Il n’y parviendra jamais.
peste, en raison de sa vulgarité, est en quête de nouvelles opportunités. Avec, en tête, les chemins de fer. En 1861, il vend la totalité de sa flotte. Avec l’argent recueilli, il achète coup sur coup la compagnie de chemin de fer New York-Harlem et les chemins de fer de l’Hudson River, prenant ainsi le contrôle de l’ensemble des lignes ceinturant New York. Cinq ans plus tard, en 1866, il acquiert le New York Central, qui relie Albany à Buffalo. A cette date, Cornelius Vanderbilt est à la tête du deuxième réseau ferré américain…
Meilleur ennemi
Mais le Commodore n’entend pas s’arrêter là. Une autre compagnie l’intéresse particulièrement : le chemin de fer de l’Erie. Fondé dans les années 1830, il relie Chicago à New York, axe majeur s’il en est pour le transport des marchandises. Décidé à mettre un pied dans la place, Vanderbilt y a investi quelques centaines de milliers de dollars dès 1860. Au conseil d’administration, il y a retrouvé son meilleur ennemi, Daniel Drew, qui, lui aussi, a investi dans la compagnie quelques années plus tôt. Un peu plus jeune que Vanderbilt, cet ancien
tenancier de taverne au caractère peu amène a fait fortune dans le négoce de bétail avant de tout miser, comme lui, sur le transport fluvial. Pendant des années, Drew et Vanderbilt se sont livré une féroce guerre des prix pour le contrôle du marché.
Une bataille sans vainqueur ni vaincu mais qui a laissé des traces : les deux hommes se haïssent et ne rêvent que d’en découdre à nouveau.
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Ces quatre-là sont d’authentiques brutes, des hommes totalement dénués de scrupules : deux années durant, ils vont se livrer à une guerre féroce pour le contrôle de la Compagnie Erie, qui relie Chicago à New York…
Nouvel eldorado
Au milieu des années 1860, les chemins de fer font figure de nouvel eldorado pour les hommes d’affaires américains en quête de placements juteux. Depuis quelque temps déjà, un homme l’a bien compris : Cornelius Vanderbilt. Né en 1794, il a monté son premier service de ferry –une simple barge à voile à l’origine– entre Staten Island et New York à l’âge de seize ans. En 1829, il a été le premier à prendre le tournant de la vapeur. Une quinzaine d’années plus tard, il possède près de deux cents navires qui opèrent sur toute la côte Est. Un véritable empire que Vanderbilt a édifié en cassant systématiquement les prix pour couler ses concurrents.
Au début des années 1860, cet homme richissime réputé pour son avarice et que la bonne société de la côte Est fuit comme la
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C’est une véritable bataille de géants qui, entre 1867 et 1868, oppose quatre des principaux tycoons américains pour le contrôle du très stratégique chemin de fer d’Erie. D’un côté, Cornelius Vanderbilt, le «Commodore», comme on l’a surnommé depuis qu’il a fait fortune dans le transport fluvial. De l’autre, les trois «compères» : Daniel Drew, l’homme d’affaires qui a, lui aussi, fait ses premiers pas dans le transport fluvial, James Fisk le financier, et enfin Jay Gould, le spéculateur, «l’homme le plus mauvais depuis le début de l’ère chrétienne», comme le surnomme la presse américaine et qui, dans sa jeunesse, a bâti sa fortune à coups de revolver et d’expéditions punitives !
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Ils s’appellent Cornelius Vanderbilt, Daniel Drew, James Fisk et Jay Gould. Ces quatre-là sont d’authentiques brutes, des hommes totalement dénués de scrupules : entre 1867 et 1868, ils vont se livrer à une guerre féroce pour le contrôle de la Compagnie Erie,
qui relie Chicago à New York…
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Erie, la guerre
du chemin de fer
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Cinq ans plus tôt, James Fisk est mort, abattu par son associé, celui-là même qui lui avait «emprunté» sa maîtresse. Deux ans auparavant cependant, en 1870, Fisk, toujours serviable, avait aidé Jay Gould à manipuler les actions de l’Erie afin de mettre la main sur le paquet d’actions détenues par Daniel Drew. Les loups se déchiraient entre eux… L’ancien rival de Vanderbilt avait été proprement éjecté de la compagnie des chemins de fer, première étape vers la ruine totale. Il devait mourir dans une chambre de bonne en 1879. Devenu maître de l’Erie, Jay Gould disparaîtra, lui, en 1892, assis sur une énorme fortune et ne laissant pour seuls regrets que ceux de ses enfants…
Tristan Gaston-Breton
Historien d'entreprises (tgb@historyandbusiness.fr)
Illustrations : Pascal Garnier; Louise Lebert (pp. 5 et 12) / Crédit photo : AFP
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