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1670-1821,
la guerre
​des fourrures

Dès la fin du XVIIe siècle, le très lucratif commerce des peaux sera au cœur des rivalités franco-anglaises en Amérique du Nord. Par la suite, il va déclencher une lutte féroce entre la Compagnie de la Baie d’Hudson et sa grande rivale du Nord-Ouest. 

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« Il faut que cela cesse ! » En ce jour de 1816, le secrétaire d’Etat anglais aux Colonies a décidé de mettre un terme à la lutte féroce que se livrent, depuis des années, la Compagnie de la Baie d’Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest pour le contrôle du très lucratif trafic des fourrures au Canada. Quelques mois plus tôt, en juin 1816, la rivalité commerciale a viré à l’affrontement armé, faisant de nombreuses victimes. Craignant une déstabilisation de tout le Canada, les autorités ont procédé à quelques arrestations et dépêché sur place des commissaires. Leurs conclusions sont sans appel : pour mettre un terme à cette guerre, il faut obliger les deux compagnies à fusionner. Il faudra cinq ans pour y parvenir.

Lorsqu’enfin l’opération est menée à bien, en juillet 1821, la Compagnie de la Baie d’Hudson, créée en Grande-Bretagne et qui dispose depuis toujours de l’appui de Sa Majesté, a définitivement supplanté sa rivale, fondée à Montréal par d’intrépides négociants d’origine écossaise.

 

«les Coureurs des bois»

 

En 1821, cela fait déjà 150 ans qu’elle se livre au trafic des fourrures autour de la baie d’Hudson, véritable cœur battant du commerce des peaux en Amérique du Nord. Sa création doit beaucoup à deux Français, deux «coureurs des bois» comme on appelle alors ces aventuriers impliqués dans la traite des fourrures en contact direct avec les Indiens : Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart des Groseilliers. Au milieu du XVIIe siècle, ces deux protestants sillonnent le Canada français, échappant à maints dangers et ramenant à chaque fois des lots de peaux qu’ils négocient à Montréal. Jusqu’à ce jour de 1662 où, de retour d’un périple de deux ans, ils sont condamnés à une forte amende pour trafic illicite. Après avoir tenté en vain de plaider leur cause en France, ils repartent en Amérique

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C’est la première organisation spécifiquement dédiée au commerce des fourrures, une activité effectuée jusque-là par d’innombrables aventuriers de l’acabit de Radisson et Chouart des Groseilliers…

du Nord, mais cette fois pour Boston, afin d’intéresser les négociants de la Nouvelle-Angleterre à la traite. Pari gagné !
Les marchands anglais savent qu’il y a beaucoup à gagner dans ce trafic. Car l’Europe, depuis des années déjà, a soif de fourrures, notamment de castors, qu’elle utilise pour la confection de capes, de manchons, d’étoles et, surtout, de chapeaux. Chaque année, ce sont des cargaisons entières de peaux qui traversent l’Atlantique.

 

Financée par les marchands de Boston, la première expédition de Radisson et Chouart des Groseilliers, en 1665, est certes décevante ; mais elle attire l’attention des autorités anglaises. L’année suivante, voici les deux coureurs des bois à Londres, reçus en audience par le roi Charles II et bientôt chargés de conduire deux navires vers la baie d’Hudson. Les résultats prometteurs de ce voyage convainquent le roi d’établir une compagnie. C’est chose faite en mai 1670. Cette année-là est créée à Londres la Compagnie des aventuriers d’Angleterre, que l’on ne connaîtra bientôt plus que sous le nom de Compagnie de la Baie d’Hudson. Elle se voit accorder le monopole de la traite avec les Indiens autour de la baie d’Hudson et le long des rivières et fleuves qui s’y déversent.

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Rivalités franco-anglaises

 

Les deux Français se lasseront vite de jouer les utilités pour le compte des Anglais et tenteront en 1682, avec l’appui de Colbert, de mettre sur pied une compagnie rivale. Sans succès : surtaxée et victime de la concurrence anglaise, elle fermera ses portes en 1700. A cette date, cela fait longtemps que la Compagnie de la Baie d’Hudson a assis son contrôle sur le commerce des peaux au Canada. Des postes ont été établis tout au long de la baie, tenus par des agents salariés. C’est vers eux que convergent, au printemps et à l’été, les Indiens de la région pour y vendre les peaux qu’ils ont chassées durant l’hiver et qu’ils troquent contre des articles manufacturés –vêtements, outils, bimbeloterie, couvertures de laines et même armes à feux.

 

L’histoire de la Compagnie n’est certes pas un long fleuve tranquille. Dès sa création, elle se trouve au cœur des rivalités franco-anglaises en Amérique du Nord. Les colonies anglaises qui se développent le long des côtes atlantiques (la Nouvelle-Angleterre) se sentent directement menacées par la Nouvelle-France, qui recouvre une partie du Canada, l’Acadie mais aussi la Louisiane au fur et à mesure de l’expansion française dans la

vallée du Mississippi. Menés au rythme des guerres européennes, les affrontements entre les deux ensembles coloniaux sont incessants avec, en ligne de mire, le contrôle du trafic des fourrures, principale activité économique de l’Amérique du Nord.

 

En 1697, par le traité de Ryswick, la baie d’Hudson est rattachée à la Nouvelle-France, qui récupère du même coup une partie des postes de traite créés par les Anglais. L’Amérique française est alors à son apogée. Las ! Moins d’une génération plus tard, en 1713, le traité d’Utrecht consacre la mainmise de l’Angleterre sur l’Amérique du Nord et lui redonne le contrôle de l’ensemble de la baie d’Hudson. L’acte final survient en 1760 lorsque les Français sont définitivement évincés du Canada.

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Une nouvelle ère

 

Pour la traite des fourrures, c’est une nouvelle ère qui commence. Une ère qui va directement menacer le quasi-monopole de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Des années durant, Montréal avait été le centre névralgique du commerce des peaux tenu par les Français. La prise de la ville par les Anglais, en 1760, rebat totalement les cartes. N’ayant plus accès aux contrats de transport ni au capital nécessaire pour financer les grandes expéditions, les marchands canadiens-français cèdent la place à de nouveaux venus, et notamment à des négociants écossais, dont beaucoup sont d’anciens rebelles jacobites contraints de quitter l’Angleterre. 

 

Dans les années 1760 et 1770, de nombreuses compagnies voient ainsi le jour à Montréal. Leur objectif : ranimer les circuits jadis contrôlés par les Français, qui, depuis le Canada, s’étendent jusqu’à la vallée supérieure du Mississippi et traversent les Prairies jusqu’aux contreforts des Rocheuses. Une stratégie fondée sur la pénétration vers l’intérieur des terres très différente de celle suivie par la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui, depuis toujours, accueille les Indiens dans ses différents

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postes de la baie. Parmi ces nouvelles compagnies créées par les Ecossais, l’une d’elle inquiète plus particulièrement les Anglais de la Hudson : la Compagnie du Nord-Ouest.

 

Les marchands écossais

 

Son histoire commence en 1779 lorsqu’une poignée de marchands d’origine écossaise installés à Montréal s’associent pour monter des expéditions vers l’Ouest. A leur tête, Benjamin Frobisher, entré dans le négoce des fourrures une dizaine d’années plus tôt. Fin stratège, il comprend vite que, pour casser le monopole de fait de l’Hudson, il faut se situer très en amont des circuits de traite et capter les peaux avant leur arrivée aux postes contrôlés par la grande rivale. En 1784, ce qui n’était jusque-là qu’une association informelle de négociants devient une véritable compagnie de commerce. La Compagnie du Nord-Ouest vient de naître.

 

A la mort de Benjamin Frobisher, en 1787, elle est prise en main par l’un de ses associés de la première heure, Simon McTavish. Né à Inverness, en Ecosse, arrivé à New-York à 13 ans, il s’est

lancé très tôt dans la traite des fourrures avant de se livrer, durant la guerre d’Indépendance américaine, à toutes sortes de trafics. Autoritaire mais animé d’une véritable vision du commerce des peaux, il transforme en profondeur l’entreprise, dont il a la majorité des parts. Sous son règne, qui durera jusqu’à la fusion de 1821, la Compagnie du Nord-Ouest acquiert plusieurs de ses concurrents. Suivant une logique d’intégration verticale, elle crée un vaste réseau de postes qui s’étend des côtes du Labrador à la côte pacifique en passant par les Montagnes rocheuses et, à Londres, une maison de commerce chargée de la vente des peaux et de l’acquisition, partout en Europe, des articles manufacturés. A son apogée, la Compagnie compte pas moins de 2.000 salariés, un effectif considérable pour l’époque.

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Affrontements quotidiens 


Menacée de voir ses circuits d’approvisionnements coupés, la Compagnie de la baie d’Hudson se lance à son tour à la conquête de l’intérieur des terres, créant une série de postes, parfois à quelques centaines de mètres de ceux de sa rivale. Au début des années 1800, les affrontements sont quasi-quotidiens et on ne compte plus les agents molestés, et même assassinés, ni les bâtiments saccagés de part et d’autre. L’activisme de Simon McTavish porte un rude coup à la Compagnie de la baie d’Hudson. Mais la Compagnie du Nord-Ouest n’est pas tellement mieux lotie, qui doit dépenser des sommes considérables pour agrandir son réseau commercial. La concurrence, à dire vrai, risque fort de tuer à terme les deux compagnies.

 

Ce n’est pas tant l’évolution de la traite des peaux qui va pousser les autorités anglaises à imposer la fusion entre les deux sociétés que la question, beaucoup plus sensible, des métis. Issus d’unions entre les Blancs et les Indiens, ils constituent une population non négligeable qui, depuis l’intérieur, alimente en peaux les postes des deux compagnies. Récurrentes, les tensions entre métis et colons éclatent au printemps 1816 lorsque,

En 1816, la rivalité commerciale vire
​à l’affrontement armé, faisant plusieurs victimes.

En 1697, la baie d’Hudson est rattachée à la Nouvelle-France. L’Amérique française est à son apogée.

Fin stratège, Frobisher comprend vite comment casser le monopole
​de l’Hudson.

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à l'issue d’un hiver de famine, les premiers attaquent un poste de l’Hudson. L’échauffourée fait 21 morts parmi les agents de la Compagnie et un seul parmi les métis.

 

C’est cet épisode qui pousse les autorités anglaises à orchestrer la fusion des deux entreprises. Epuisée financièrement, la Compagnie du Nord-Ouest doit s’incliner. La nouvelle entité conserve le nom de Compagnie de la Baie d’Hudson, prélude à une vaste réorganisation de son réseau commercial. Aujourd'hui, près de 350 ans après sa création, l’entreprise existe toujours. Cotée à la Bourse de Toronto, elle contrôle plusieurs chaînes de magasins de détail au Canada.

 

Tristan Gaston-Breton

Historien d'entreprises (tgb@historyandbusiness.fr)

 

Illustrations : Pascal Garnier; Louise Lebert (pp. 5 et 12) / Crédit photo : ANB